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Crédit photo : MH Photography's

Doula et études scientifiques

Aujourd’hui il est de bon ton de mentionner des études scientifiques pour appuyer des arguments. A titre personnel, il me semblait logique qu’un soutien continu (une "doula") dans un contexte "hors domicile" pouvait faire une grosse différence lors d'une naissance. Je trouve toujours passionnant de regarder ce que la littérature scientifique médicale nous propose.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, sachez que dans cet article je vais vous parler d’études réalisées en contexte hospitalier et non pas dans le cadre de naissance à domicile (à quand une belle étude randomisée dans un cadre pro physiologie sur la présence des “doulas”?).

Tout a commencé au Guatemala dans les années 70, dans un service d’obstétrique d’un énorme hôpital où il y avait 60 accouchements par jour. Deux pédiatres et chercheurs américains (Klaus et Kennell) ont eu l’idée d’observer ce qui se passerait dans cette « usine à bébé » si certaines femmes se voyaient allouer une compagne qui serait comme une figure maternelle. La seule particularité de cette compagne c’est qu’elle devait avoir vécu une expérience positive de la naissance et qu’elle croit profondément que la naissance est un processus normal et sécuritaire. Ils ont mené une étude randomisée contrôlée chez des primipares en bonne santé afin d’étudier les impacts de la présence continue d’une personne pendant l’accouchement. La population étudiée était donc « femme arrivant en travail », ils ont tiré au sort et donc pour certaines femmes ils faisaient comme d’habitude et pour d’autres une compagne “profane” était près d’elles. Les chercheurs ont clôturé une première étude et ont refait une seconde étude dans les années 80. Les résultats de ces deux études ont été publiés dans les années 80 dans un journal prestigieux (BMJ : British Medical Journal) et démontrent les bénéfices indéniables quant à la présence de “doula” pendant les naissances (1).

Puis en 1991 une seconde étude (2) fut menée dans une unité de soins obstétriques à forte activité aux Etats-Unis à Houston. Dans ces trois études, les chercheurs ont réparti au hasard des femmes primipares en bonne santé soit à un groupe avec appui d’une “doula” soit à un groupe sans cette forme d’assistance. Dans les analyses comparant ces deux groupes, les résultats ont été corrigés pour tenir compte des interventions (telles que l’administration d’ocytocine et les césariennes), ce qui faisait que la présence ou non d’une doula était la seule différence importante dans l’environnement de l’accouchement des deux groupes de femmes. Le tableau ci-dessous résume les résultats issus de ces trois études.

Plus tard dans les années 90, une autre étude (4) attire aussi l’attention concernant les avantages de la présence d’une “doula” pendant post-partum. A Johannesburg en Afrique du Sud des chercheurs ont étudié une population de 189 primipares dont 92 ont reçu l’aide d’une profane sans formation tout au long de l’accouchement. Ces femmes ont eu constamment recours au toucher et à l’encouragement verbal pour réconforter et rassurer les femmes.

Les nouvelles mères qui avaient reçu l’assistance de la “doula” ont déclaré :

  • avoir ressenti moins de douleur durant la naissance qu’elles l’avaient prévu (les femmes du groupe témoin ont signalé éprouvé plus de douleur)
  • éprouver une anxiété moins grande 24h et 6 semaines après la naissance (bien que les femmes des deux groupes aient éprouvé un degré d’anxiété semblable avant la naissance) ; elles avait une perception plus positive de leur expérience de la naissance et consacraient plus de temps à leur nouveau-né.

Cette étude a aussi rapporté des impacts sur l’allaitement suivant la naissance. 63% des mères n’ayant pas reçu l’appui d’une “doula” ont éprouvé des difficultés à nourrir leur nouveau-né, alors que seulement 16% des femmes du groupe « doula » ont éprouvé de telles difficultés.

Le tableau ci-dessous résume les observations de l’étude :

Les docteurs Klaus et Kennell ont conduit 6 études randomisées contrôlées en tout et les résultats de chaque étude confirment que la présence continue d’une personne qui a une expérience positive de la naissance a des bénéfices pour la mère pendant le travail. Les résultats combinés de ces 6 études ont été résumé ainsi (3):

  • 50% de réduction du taux de césarienne
  • 60% de réduction de pose d’analgésie péridurale
  • 25% de réduction du temps de travail
  • 40% de réduction d’iunjection d’ocytocine
  • 30% de réduction d’utilisation de forceps

En 2017, Bohren et al. ont publié une mise à jour d’une revue Cochrane sur l’utilité du soutien continu de la femme pendant l’accouchement. Cette revue a combiné les résultats de 26 études incluant au total 15 000 femmes! On parle ici de meta analyse 🧐  c’est vraiment du solide. De même que dans les études citées plus haut, les femmes étaient réparties dans deux groupes : avec ou sans soutien continu type une femme pour une femme. La revue Cochrane a statué que la qualité des preuves était « bas ». Dans le système d’évaluation « GRADE system » il y a 4 niveaux pour évaluer la qualité d’une étude : haute, modéré, bas ou très bas. Comme il est impossible de mener par exemple des études en double aveugle sur des femmes donnant naissances (par exemple il est impossible de faire croire à une femme qu’elle a du soutien continu alors qu’elle n’en a pas !), il n’est pas surprenant que le niveau de qualité de ces études soit parmi les niveaux intermédiaires. Si vous voulez creuser le sujets de la qualité des études dans le domaine de la périnatalité je vous recommande vivement cet article du Dr Rachel Reed (traduit en français).

Le soutien continu durant la naissance était assuré par soit un membre du personnel hospitalier, comme des sage-femmes ou des infirmières (9 études), des femmes qui ne faisaient pas partie de l’entourage sociale de la mère ni de l’hôpital (10 études), ou une personne directement lié à la femme comme son ou sa partenaire, ou amie (7 études). Dans 15 études sur 26 le ou la partenaire ne pouvait pas être présent donc le soutien continu fut comparé à aucun soutien. En revanche dans les 11 autres études, le ou la partenaire était présent ainsi que la personne en soutien continu.  Voici les impacts du soutien continu pendant la naissance dans le cadre de cette revue :

  • 25% de réduction relative du risque de césarienne ; (39% de réduction avec une “doula” en particulier)
  • 8% d’augmentation de la probabilité d’avoir une naissance par voie vaginale (15% d’augmentation avec une “doula” en particulier)
  • 10% de réduction relative du risque d’avoir recours à des analgésies
  • Des naissances plus courtes de 41 minutes en moyenne
  • 38% de réduction relative du risque d’un score Apgar faible à 5 minutes pour les bébés
  • 31% de réduction relative du risque de n’être pas satisfaite de l’expérience de la naissance.

Il en ressort aussi de façon moins marquée que la présence d’une “doula” a diminué les taux de dépression post-partum chez les jeunes mères.

Il n’y avait aucune preuve d’effet négatif à la présence d’un soutien continu.

Les résultats de cette étude montrent que lorsque la femme qui donne naissance a la possibilité d’avoir un soutien continu durant le travail, la femme et le bébé ont statistiquement plus de chance de vivre une meilleure expérience de la naissance.

CONCLUSION

Je ne sais pas ce que vous ressentez en ayant lu tout cela, mais moi cela me fait complètement halluciner ! Depuis tout ce temps, on sait de sources fiables qu’avoir du soutien continu pendant la naissance dans un contexte hospitalier (et donc non physiologique) a des avantages incroyablement significatifs sur la mère et le bébé, mais qu’est-ce-qu’on attend pour voir enfin des “doulas” à toutes les naissances?

Alors j’ai un élément de réponses, il paraît d’après une étude très sérieuse que cela prend 17 ans pour faire évoluer les pratiques hospitalières en fonction de la recherche. On dirait que dans le domaine de la naissance (ou tout simplement quand cela touche au corps de la femme), 40 ans c’est pas encore assez…

Autre point et pas des moindres, notez les guillemets que j’ai volontairement laissé autour du mon “doula”, pourquoi ai-je fais cela? Sachez que les “doulas” de la plupart de ces études (notamment les premières études dans l’Histoire) n’avait reçu AUCUNE FORMATION, elles étaient “juste” des femmes confiantes dans le fait que les femmes sont faites pour enfanter et que les bébés sont faits pour venir au monde. J’aime dire que moi-même pour la naissance à domicile de mon deuxième bébé, j’ai fait appel à une de mes meilleures amies qui n’a absolument aucune formation autour de la naissance, parce que je savais qu’elle incarnerait la confiance dans ce processus. Allez lire mon récit si cela vous tente 🙂

La révolution des naissances est-elle enfin arrivée ? Moi je pense que oui…

Margot ♥ 

PS

Petit aparté sur la « réduction relative du risque » risque relatif mentionné plus haut. Le risque relatif est différent du risque absolu.  La réduction relative du risque est différente de la réduction absolue de risque. Voici le lien, entre ces différentes notions :

  • Risque absolu de base (sans “doula”) = risque qu’un événement se passe (dans notre contexte cela peut-être par exemple une césarienne)
  • Réduction relative du risque (grâce à la présence d’une “doula”) = La réduction de ce risque dépend du risque absolu de base. Dans notre contexte : Dans un hôpital où l’approche est très physiologique l’impact de la “doula” sera moindre que dans un contexte très médicalisé.
  • Réduction absolue du risque = impact de la présence de la “doula” sur le risque
  • Risque absolu avec “doula” = le nouveau risque qu’un événement se passe avec une “doula”

Risque absolu de base x réduction relative du risque = réduction absolue du risque

Risque absolu de base – réduction absolue du risque  = nouveau risque absolu

Avec un exemple tout s’éclaire (si si !) :

Si une “doula” permet une réduction de 39% du risque relatif de césarienne, mais que dans l’hôpital que vous avez choisi pour la naissance le taux de césariennes est de 32% (c’est à dire le risque absolu est de 32%) alors la réduction absolue du risque est de 0,39 x 0,32 = 0,12 soit 12% de réduction de risque absolu.

A présent calculer votre nouveau risque absolu de vivre une césarienne dans cet hôpital où le risque de base est de  32% : 0,32 – 0,12 = 0,20 soit 20% de risque absolu de vivre une césarienne. Avant c’était 1 chance sur 3 mais avec une “doula” cela devient 1 chance sur 5.

Sources :

1-KLAUS M.H., KENNELL J.H., ROBERTSON S.S., SOSA R. Effects of social   support during parturition on maternal and infant morbidity. B.M.J. 1986, 293, 585-587.

2-KENNELL J., KLAUS M., McGRATH S., ROBERTSON S., HINKLEY C. Continuous emotional support during labor in a US hospital. JAMA, 1991, 265, 2197-2201.

3- “The Doula Book How a Trainer Labor Companion Can Help You Have a Shorter, Easier and Healthier Birth” (Second edition) – Marshall, Phyllis Klaus and John Kennell (Perseus Press, 2002) / “Support in labor” (soutien pendant l’accouchement) publié par MIDIRS (the Midwives Information and Resource Service, Grande Bretagne) qui présente les statistiques de 10 études randomisées contrôlées portant sur plus de 3000 femmes.

4- Chalmers B, Wolman WL, Hofmeyr GJ, Nikodem C. Companionship in labour and the mother-infant relationship: preliminary report of a randomised trial. Proceedings of the 9th Conference on Priorities in Perinatal Care; 1990 March; Johannesburg, South Africa. 1990: 139–41.

La photo de mise en avant de ce billet a été réalisée par MH Photography’s.